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Homélie pour la Pentecôte 2023

Chers frères et sœurs, 
Que le Seigneur vous donne la paix ! 

C'est une Pentecôte particulière que nous célébrons aujourd'hui à Jérusalem. D'abord parce que nous sommes enfin revenus célébrer ici, à la Dormition, comme le veut la tradition, après la fin des rénovations qui lui ont fait retrouver sa gloire d'antan. Mais aussi parce qu'aujourd'hui, en même temps que le don de l'Esprit Saint, nous bénissons le début du ministère abbatial du P. Nikodemus Schabel, récemment élu abbé, et jusqu'à présent Vicaire patriarcal pour les migrants et les demandeurs d'asile. Il s'agit donc un moment important pour toute l'Eglise de Jérusalem. 

Mais avant de m'adresser au P. Nikodemus, je voudrais m'arrêter et réfléchir sur le passage de l'Évangile proclamé, qui nous explique la solennité que l'Église célèbre aujourd'hui : la Pentecôte. 

L'Évangile (Jn 20, 19-23) nous ramène au soir de Pâques : selon l'évangéliste Jean, c'est ce même soir que Jésus apparaît aux siens, qui, par peur, s'étaient enfermés, afin de leur donner l'Esprit. 

La théologie de Jean lie étroitement le don de l'Esprit à la Passion et à Pâques, comme un seul grand mouvement, un seul mystère du salut : il veut souligner et faire comprendre que l'Esprit jaillit de la croix, du côté ouvert du Seigneur, qui donne la vie. Il n'y a pas d'Esprit sans ce don de soi que Jésus achève pour nous sur la croix. Et Pâques n'est accomplie que lorsque l'Esprit Saint est communiqué aux hommes. 

L'Évangile de Jean que nous lisons les dimanches du temps pascal précise que le but de Pâques n'est pas que Jésus ressuscite et retourne auprès du Père, mais que Sa vie habite en nous, que nous adhérons à Son mode de vie. 

C'est pourquoi Jésus, le jour même de Sa résurrection, rejoint immédiatement les siens et partage avec eux la vie qu'Il vient de trouver, la vie que le Père Lui a donnée. Cette vie, qui est une vraie vie parce qu'elle renaît des profondeurs, est désormais pour tous ceux qui la recevront. 

Pour dire que Jésus donne l'Esprit, l'évangéliste Jean utilise un terme très rare. Dans le Nouveau Testament, il n'apparaît qu'ici. Jean écrit que Jésus a soufflé, "a soufflé sur eux" (Jn 20,22). Le verbe peut aussi s'utiliser avec le préfixe "en", comme pour dire que Jésus n'a pas simplement soufflé sur eux, mais en eux, à l'intérieur d'eux : l'Esprit est un don qui ne reste pas extérieur à l'homme, mais qui le pénètre, qui devient sa respiration même. 

Ce verbe, que nous ne trouvons nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, est en revanche présent dans l'Ancien. Il est présent précisément dans le récit de la création, lorsque Dieu, après avoir modelé l'homme avec la poussière de la terre, "souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant" (Gn 2,7). L'homme est donc formé de deux éléments, tous deux marqués par une grande précarité : la poussière de la terre, la partie la plus délicate et la moins consistante de cette dernière, qui pour cette raison symbolise la fragilité de sa constitution physique humaine, et le souffle de vie, qui est tout ce qui fait d'un corps inanimé une personne vivante : tout ce qui permet de respirer, qui donne la possibilité de vivre. 

Or, de même que Dieu souffle dans les narines d'Adam la vie naturelle afin qu'il vive, de même Jésus souffle dans les disciples le souffle de la vie nouvelle, afin qu'ils vivent en ressuscités : l'Esprit n'est pas un bonus, un accessoire, mais Il est précisément ce qui nous fait vivre, ce qui rejoint notre condition humaine si fragile et la fait participer à la vie de Dieu. 

L'homme est donc une créature appelée à maintenir ensemble ces deux éléments qui, en eux-mêmes, sont aussi éloignés l'un de l'autre que le ciel l'est de la terre. 

La Pentecôte dévoile donc définitivement le mystère de l'homme : au soir de Pâques, par le souffle de Jésus, Dieu fait de nous non seulement une créature nouvelle, mais une créature vivant de la vie même de Dieu, une créature appelée à maintenir ensemble la vie naturelle et la vie divine, la chair et l'Esprit, la terre et le ciel. Ce n'est qu'avec cette condition que l'homme est accompli. 

Ce n'est pas tout. Un autre élément vient éclairer cet accomplissement de la création de la Pentecôte : dans le récit de la Genèse, l'œuvre de Dieu concerne l'homme, le premier homme, l'individu. Lors de la Pentecôte, il y a quelque chose de différent : le soir de Pâques, Jésus donne l'Esprit aux disciples réunis et les recrée en tant que communauté de frères. Ainsi naît l'Église. 

L'œuvre de l'Esprit n'est pas de créer des individus parfaits, aussi saints soient-ils. L'œuvre de l'Esprit est un événement de communion : elle crée une fraternité, elle compose les différences, elle rend possible l'unité. En d'autres termes, elle est à l'origine de l'Église. 

La vie nouvelle de l'Esprit est une vie qui ne se vit plus dans la recherche solitaire de son propre accomplissement, mais dans la rencontre avec le frère avec lequel la vie est partagée : elle ne peut être vécue si elle n'est pas à son tour communiquée, partagée, donnée, parce que cette vie elle-même n'est rien d'autre qu'un don. Si nous la retenons et la possédons, nous éteignons l'Esprit et retournons à la mort. 

C'est pourquoi, étroitement lié au don de l'Esprit, se trouve le don de pardonner les péchés (Jn 20,23), c'est-à-dire la capacité de ne pas laisser le mal envahir l'homme et détruire ses relations : les apôtres, remplis de l'Esprit Saint, sont envoyés pour faire cette même chose qu'ils ont vu en Jésus, c'est-à-dire apporter la vie là où il y a la mort. Tel est l'Esprit qu'ils ont reçu. 

Ces quelques versets révèlent donc notre mission en tant qu'Église et notre mission en tant que croyants en Christ. 

Ils révèlent également ta mission, cher P. Nikodemus. Ce passage décrit aussi très bien ta nouvelle mission et vocation d'abbé, c'est-à-dire de père d'une communauté de religieux bénédictins, mais aussi - dans un certain sens - de référence spirituelle pour toute notre communauté chrétienne de Terre Sainte, que tu connais peut-être mieux désormais, après l'expérience de ces dernières années. 

Personne ne demande la perfection. Nous savons qu'il n'y a pas de communautés parfaites, tout comme il n'y a pas d'abbés parfaits. Ce que le monde et l'Église attendent de ces dernières, et désormais de toi aussi, c'est que vous soyez heureux, remplis de la vie du Christ, incarnant des lieux où coule la vraie et belle vie des gens pleins d'amour pour le Seigneur. 

Comme nous l'avons entendu dans l'Évangile, la vie même de Dieu, que le Ressuscité nous a communiquée, habite en nous. Tes frères aussi, cher Nikodemus, devront vivre de la vie que tu sauras leur donner, en leur consacrant ton temps, en étant parmi eux, même quand tu souhaiterais faire autre chose et être ailleurs, en exerçant avec eux la patience, synonyme de l'amour. Tu devrais parfois renoncer à tes projets, à tes visions, ainsi qu'à tes attentes à leur égard. Mais tout ça sera accompli afin que grandisse quelque chose qui appartienne à tous et qui soit source d'unité. Ta communauté de religieux bénédictins sera vivante et source de paix, dans la mesure où elle fera l'expérience du pardon, qui doit d'abord être trouvé en toi. Les disciples se sont réjouis en voyant le Seigneur. Que ceux qui te rencontrent se réjouissent de voir en toi la présence même de Dieu qui habite votre maison. 

Les différents monastères de Terre Sainte ont tous une vocation particulière au sein de notre Église. Chacun a des modalités différentes, mais ils sont tous des oasis de prière et de recueillement, des lieux de rencontre pour tous, totalement étrangers aux divisions politiques et religieuses que connaît malheureusement notre Terre. Ce ne sont pas des lieux réservés aux chrétiens, ni dédiés au service des juifs, ni au dialogue avec les musulmans, ni à ceci ou à cela. Ce sont donc des lieux précieux, parce qu'ils sont ouverts à tous, et où chacun, sans étiquette, peut trouver un espace de prière, peut admirer l'attention portée à la beauté, peut rencontrer quelqu'un qui sait écouter et prononcer une parole de consolation et d'encouragement. Ce sont des lieux qui nous sont chers et dont notre Église a grand besoin. Vos monastères, en effet, nous rappellent à tous notre mission d'Église, qui est d'annoncer le salut. Et seuls les sauvés peuvent témoigner de manière crédible du salut, non pas par des discours abstraits, mais en indiquant concrètement une manière d'être dans la vie. 

Puisse donc l'abbaye de la Dormition, maintenant que les travaux de restauration sont en voie d'achèvement, redevenir un lieu d'accueil ouvert à tous, un espace de prière beau et évocateur. Que votre belle liturgie, bien conçue, fasse grandir notre communauté ecclésiale dans la conscience de ce que signifie célébrer, de la manière de faire l'unité entre la vie et la célébration. 

Que les pauvres, et surtout les migrants de notre Église, que tu connais bien désormais, trouvent en toi et en ce lieu, accueil et ouverture. Pendant un certain temps, en tant que Vicaire pour les migrants et les demandeurs d'asile, tu as été pour eux ce lieu d'écoute, d'orientation, d'accueil. Tu as été, en somme, un peu leur maison. J'espère que tu continueras à l'être, sous de nouvelles formes. Qu'ils trouvent en toi ce dont ils ont le plus besoin : un cœur accueillant. 

L'abbaye de la Dormition jouit d'une visibilité particulière dans notre Église. La vie religieuse dans notre diocèse est en effet riche en nuances et en couleurs, mais elle court aussi souvent le risque de se fragmenter et de s'isoler. Dans ce contexte, l'abbaye peut jouer un rôle de guide et d'accompagnateur. J'espère que l'unité de ta communauté monastique aidera aussi toute notre Église, et en particulier nos communautés religieuses, à prendre conscience de leur appartenance à une même Église et de l'unité de ses membres. Nous n'avons pas besoin de théories académiques, nous avons besoin de voir des exemples, d'expérimenter, concrètement, que l'unité de notre Église est possible, que le pardon et la paix, avant tout dans nos réalités religieuses et ecclésiales, ne sont pas de simples mots. 

Que l'Esprit Saint, qui brûle aujourd'hui dans l'Église, te remplisse de force et de sagesse afin que, en communion avec toute l'Église, tu puisses être un exemple et un guide pour ta communauté monastique, et aussi pour notre petite mais belle Église Mère de Jérusalem. 

†Pierbattista Pizzaballa 
Patriarche Latin de Jérusalem