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Homélie du dimanche de Pâques 2023

Homélie du dimanche de Pâques 2023

Révérendissimes Excellences, 
Chers consuls généraux, 
Très chers frères et sœurs, 
Que le Seigneur vous donne la paix !  

Aujourd'hui encore, comme les femmes de l'Évangile et les disciples Pierre et Jean, nous voilà revenus ici, devant le tombeau vide du Christ, pour prier, pour contempler, pour nous reconfirmer dans la foi. 

L’Évangile proclamé aujourd’hui résonne dans cette basilique presque quotidiennement. C’est un passage rempli d’élan et de vie. On y parle de nuit et d’obscurité qui ne provoquent plus de crainte, car la lumière du matin est sur le point de les effacer. On y parle d’une lourde pierre renversée et n’enfermant plus rien ; de disciples qui courent ; de linges – signes de mort – qui ne lient plus personne ; d’yeux qui voient ; de cœurs qui croient ; et d’Écritures qui se révèlent à la pleine compréhension. Pour nous, ces signes sont sources claires de joie, de vie et d’espérance. 

Pourtant, le contexte de ce passage est d’abord celui de la mort et du découragement. Pour les disciples, en effet, tout semble fini. L’aventure, qui avait débuté avec tant d’enthousiasme quelques années auparavant, semble s’être terminée de la manière la plus infructueuse qui soit. Ce Jésus sur lequel ils avaient tout misé, jusqu’à quitter famille, travail et maison –  toute leur vie, en somme – afin de le suivre, est mort de la plus misérable des manières. Ils L’ont suivi avec enthousiasme et, même s’ils n’ont pas toujours compris Ses discours et Ses choix, ils n’ont pas cessé d’être avec Lui. Ils L’aimaient. De lui émanait une force particulière qui leur donnait confiance. Mais voilà que ce Jésus, qui faisait des miracles avec puissance et parlait avec autorité (cf. Mt 7,29), gît mort dans un tombeau, derrière une lourde pierre. 

Malgré cette fin dramatique, le lien des disciples avec le Maître ne semble toutefois pas encore complètement rompu. Ils ne sont pas encore chacun reparti sur leur chemin. La mort n’a pas mis fin à tout. Marie Madeleine n’attend d’ailleurs pas la lumière de l’aube pour se rendre au tombeau de Jésus. Il a beau faire encore nuit, déjà la voilà qui se met en route pour aller vers Lui. Elle ne se résigne pas à l’absence du Maître, elle veut trouver un moyen d’être de nouveau à Ses côtés. Les disciples, Pierre et Jean, ne sont pas non plus partis. Marie Madeleine court donc vers eux, parce qu’ils partagent encore un lien. Lorsque ces derniers apprennent que le corps de Jésus a été enlevé, ils courent eux aussi au tombeau, déconcertés. Ils se préoccupent toujours du sort de Jésus, malgré Sa mort. Ils se sont enfermés dans le Cénacle, tristes et effrayés, mais ils ne sont pas partis, ils ne sont pas résignés à croire que leur pari sur Jésus a bel et bien échoué. Même s'il est ténu, un fil les unit encore les uns aux autres et au Christ. Ils ne savent pas quoi espérer, mais ils n’ont pas encore choisi d’abandonner. En entendant Marie Madeleine, ils courent donc, désireux de comprendre. 

Qu’est-ce qui a maintenu vivant leur lien avec Jésus, malgré Sa mort et Son enterrement ? Qu’est-ce qui les a empêchés de repartir en arrière, de rentrer chez eux ? Qu’est-ce qui a pu surmonter ce mur si insurmontable érigé par la mort de Jésus ? L’amour. Seul l’amour possède ce pouvoir. Les disciples aimaient Jésus, et leur amour n’a pas été éteint par Sa mort. Il n’a pas été éteint par le chagrin ou la frustration. Il est resté présent. Il a juste eu besoin de trouver une nouvelle façon de s’exprimer, un nouvel élan. Ce sera la Parole de Jésus, une fois de plus, qui permettra à l’amour des disciples de remettre toute la réalité dans sa juste perspective : "lorsqu'il fut ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela, et ils crurent à l'Ecriture et à la parole que Jésus avait dite." (Jn 2,22). À la vue du tombeau vide, des linges et du linceul, le cœur des disciples a commencé à s’ouvrir à une nouvelle compréhension des évènements qui s’étaient déroulés. "Il vit et il crut" (Jn 20,8). 

L'amour a un pouvoir créateur. Il est le seul rempart capable d’arrêter le pouvoir de la peur, de la mort et de ses aiguillons (cf. 1 Co 15, 56), et d’engendrer la vie. Pâques, avant d’être la parole définitive de vie que Dieu prononce au monde, est l’annonce d’un amour qui sauve, qui pardonne, qui recrée dans nos cœurs arides et fatigués une vie nouvelle, et qui ne connaît pas la mort. Il ne s’agit pas ici d’un amour purement humain, mais de l’amour de Dieu. C’est cet amour qui a ressuscité Jésus avec la puissance de l’Esprit, ce même amour qui se répand aussi dans nos cœurs, à travers l’Esprit Saint qui nous a été donné (cf. Rm 5,5), et qui continue à agir en nous et dans le monde. 

Aujourd’hui, cette parole nous est également annoncée, ici. 

Nous vivons une époque marquée par la violence, la mort et par une profonde méfiance, visible dans les différentes sphères de la vie sociale, politique et religieuse de nos pays. La violence contre nos lieux de culte et symboles chrétiens n'est qu’une expression de cette violence plus générale qui caractérise notre époque et que l’on retrouve partout. Au lieu de chercher à construire des relations, des perspectives communes de croissance et de développement, au lieu de nous reconnaître comme faisant partie d’une seule société, nous encourageons l’exclusion et le rejet. La politique, au lieu de chercher à atteindre l’unité et de travailler pour le bien commun, semble vouloir nous plonger dans un tourbillon de divisions toujours plus grandes, sur tous les plans : non seulement entre Israéliens et Palestiniens, mais aussi entre Israéliens et Israéliens, Palestiniens et Palestiniens. Elle paraît de plus en plus incapable d’offrir une vision créatrice de perspectives et d’avenir. Même sur le plan religieux, la suspicion, les stéréotypes et les préjugés semblent aujourd’hui posséder la voix la plus puissante. Je pense que l’on peut dire que nous ne savons pas vraiment comment nous aimer les uns les autres et que c’est pourquoi nous vivons, à bien des égards, une époque difficile. 

Peut-être avons-nous dans nos cœurs les mêmes sentiments de désorientation que les femmes et les disciples de l’Évangile. Ici, en Terre Sainte, mais aussi dans de nombreuses autres parties du monde, la réalité que nous vivons semble nous parler uniquement de mort et d’échec. Tout nous porte à croire qu’il ne peut y avoir d’autre avenir que les tensions dramatiques que nous connaissons, que parler d’espérance revient à prêcher dans le désert. Peut-être que, nous aussi, ne savons pas quoi espérer. 

C’est pourquoi nous nous rendons, encore aujourd’hui, devant le tombeau du Christ. Nous avons besoin d'entendre à nouveau cette Parole qui réveille dans nos cœurs l’amour qui a engendré en nous la vie et la foi. Comme les disciples Pierre et Jean, nous avons besoin de raviver en nous cet amour qui nous pousse à courir vers le Tombeau, à avoir le courage de renouer les fils des relations brisées, de guérir les amitiés blessées, d’accorder sa confiance malgré les trahisons, d’expérimenter le pouvoir guérisseur du pardon, de créer des contextes de beauté et de sérénité, de guérir nos cœurs des sentiments de haine et de ressentiment, de susciter la confiance, le désir et la passion. 

L’une des grandes pauvretés d’aujourd'hui n'est pas le manque d’argent et de succès, mais le manque d'amour, donné et reçu. Nous n’avons pas de raison de croire, d’espérer et de donner notre vie, parce que rien ne déborde de notre cœur. Nous n’avons pas confiance en notre prochain, nous ne savons pas pardonner, parce que nous n’avons jamais connu le pardon. 

Mais avec la Pâque du Christ, le monde a acquis une nouvelle dimension : celle de ceux qui donnent leur vie pour ceux qu’ils aiment, et qui ne craignent pas "la tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, l'épée" (cf. Rm 8,35), ni même la mort, car "dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés" (Rm 8,37). 

Ici, aujourd'hui, une fois de plus, devant ce tombeau vide, nous renouvelons – pour nous-mêmes et pour toute notre Église – notre désir de parier sur l’amour de Jésus, de ne pas craindre la mort et ses liens, mais d'être, ici en Terre Sainte et dans le monde, des artisans de vie, d’amour, de pardon et d’espérance. 

†Pierbattista Pizzaballa 
Patriarche latin de Jérusalem