La récente visite de Sa Béatitude, le cardinal Pizzaballa, à Gaza a peut-être pris le monde par surprise, mais pour nous qui travaillons en étroite collaboration avec lui et qui savons à quel point il est touché par les souffrances de notre peuple, cette visite était assurément attendue. Malgré tous les risques, cette visite a été une incroyable démonstration de solidarité qui a donné de l'espoir à notre communauté. Pendant quelques jours, il a vécu la vie de nos frères et sœurs à Gaza, où l'on doit se débrouiller pour dormir au son des explosions, sans électricité et avec des denrées alimentaires rationnées. Ce qui est considéré comme acquis partout ailleurs dans le monde est devenu un luxe à Gaza.
Depuis le début de la guerre contre Gaza, les pertes humaines et les destructions ont atteint un niveau sans précédent en Terre Sainte. Les statistiques publiées par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) sont dévastatrices : 35 500 Palestiniens tués et 80 000 blessés, dont 60 % de personnes âgées, de femmes et d'enfants ; 1,7 million de personnes (75 % de la population) déplacées à l'intérieur du pays, 60 % des habitations endommagées et 80 % des installations commerciales ; 1,1 million de personnes souffrant d'une insécurité alimentaire catastrophique ; absence d'électricité, d'égouts, d'eau et de réseaux de communication.
Sur le plan de la santé, la plupart des hôpitaux sont hors service et il y a de graves pénuries de médicaments et de fournitures médicales ; 800 000 cas d'infections respiratoires aiguës et 442 000 cas de diarrhée sévères ont été recensés ; 270 000 tonnes d'eaux usées solides se sont accumulées dans les rues. En ce qui concerne l'éducation, 73 % des écoles ont été détruites, laissant 625 000 enfants en âge d'être scolarisés sans éducation ni enseignement, sans oublier toutes les universités réduites à l'état de ruines. Actuellement, 17 000 enfants ne sont pas accompagnés, car ils ont été séparés de leurs parents et sont très probablement orphelins. Quant à l'aide humanitaire, ce qui arrive au compte-gouttes ne répond qu'à une infime partie des besoins, et la fermeture du point de passage de Rafah, en Égypte, a encore compliqué la situation.
Ces simples statistiques dressent un tableau très sombre de la situation actuelle à Gaza, mais elles ne sont qu'une partie de la réalité. Les tragédies humaines dont nous entendons parler quotidiennement, y compris les opérations d'amputation sans anesthésie, sont tout simplement trop lourdes à porter. L'humanité est perdue à Gaza !
La situation en Cisjordanie n'est pas non plus dénuée de drames, avec un taux de chômage record estimé à 45 %, sans grand espoir de reprise de l'activité pour relancer l'industrie du tourisme et des pèlerinages. La situation semble également bloquée concernant le retour des travailleurs palestiniens en Israël et du versement des recettes fiscales à l'Autorité palestinienne afin de lui permettre de payer les salaires de ses fonctionnaires. La situation économique de la plupart des familles s'est gravement détériorée au cours des derniers mois, et les économies mises de côté en prévision d'un jour sombre s'épuisent avec le temps. La violence incontestée des colons, qui a rendu de nombreuses routes de Cisjordanie dangereuses, sans parler des attaques de plus en plus nombreuses et des accaparements massifs de terres, est un facteur supplémentaire de complication. Les points de contrôle sont devenus insupportables, comme j'ai pu le constater de visu il y a quelques jours. Après avoir assisté à une réunion à Ramallah, il m'a fallu plus de quatre heures pour retourner à Jérusalem, soit un trajet de 16 kilomètres ! Je ne peux que compatir avec les personnes qui doivent effectuer de tels trajets quotidiennement !
En ce qui concerne notre travail au LPJ, étant donné les objectifs élevés que sa Béatitude attend de chacun d’entre nous, tous les départements travaillent très dur pour apporter leur soutien à nos communautés souffrantes, que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie. À Gaza, la priorité continue d'être le maintien des moyens de subsistance pour tous les réfugiés dont nous nous occupons, dans le complexe paroissial de la Sainte Famille, dans l’Église orthodoxe sœur, ainsi que nos voisins musulmans immédiats. Il s'agit notamment d'assurer un approvisionnement adéquat en nourriture, en eau, en médicaments, en produits d’hygiène de première nécessité et en combustible pour environ 1 000 personnes chaque jour. Il s'agit là d'une entreprise colossale compte tenu de l'absence de livraisons humanitaires, en particulier dans le nord, impliquant la nécessité d'acheter des fournitures au marché noir, à des prix 10 à 20 fois supérieurs aux prix d'avant-guerre. En Cisjordanie, outre la poursuite de l'aide humanitaire pure (notamment sous forme de coupons alimentaires, d'aide au logement, aux services publics associés, d'aide médicale et d'aide à la scolarité, pour environ 12 000 bénéficiaires) ; l'accent a été mis sur les programmes de création d'emploi, grâce à des offres de stage, aux programmes "argent contre travail" et aux projets générateurs de revenus. À ce jour, des centaines d'opportunités ont été créées pour aider des milliers de personnes. Grâce au financement généreux de nombreux donateurs exceptionnels, nous poursuivrons ces programmes au cours des prochains mois, au profit de nombreuses institutions qui accueillent des stagiaires ou des projets, notamment les maisons de retraite, les écoles, les orphelinats et d'autres prestataires de services.
Une fois la guerre terminée, l'Église rêve non seulement de rétablir ses institutions et les services qu'elle fournissait avant la guerre, mais aussi d'étendre ces services à d'autres régions où les besoins sont plus grands. Le récent protocole d'accord signé avec l'Ordre souverain de Malte vise à fournir une aide alimentaire et médicale vitale à la population de Gaza. D'autres partenariats sont à l'étude pour permettre à l'Église non seulement de rétablir ses activités antérieures à Gaza, mais aussi d'étendre ces services afin de répondre aux besoins considérables et d'aider à la reconstruction de la communauté de Gaza. Le retour du père Gabriel Romanelli IVE, curé de Gaza, après plus de sept mois d'absence, apporte un soutien indispensable au travail héroïque des religieux déjà sur place, mais aussi une énergie et un enthousiasme nouveaux pour notre œuvre sur place, la priorité étant la reprise d'un processus éducatif pour nos élèves après la perte d'une année scolaire. Nos prières et nos meilleurs vœux vont au Père Gabriel et au Père Yousef qui ont assumé à eux seuls le gros du travail jusqu'à présent, ainsi qu'aux Sœurs du Verbe Incarné et aux Filles de la Charité qui ont soutenu héroïquement nos frères et sœurs.
Un grand merci à tous ceux qui ont soutenu notre travail collectif par leur soutien financier, mais surtout par leurs encouragements, leur solidarité et surtout leurs prières. Nous n'aurions pas pu le faire seuls et nous nous réjouissons de poursuivre notre collaboration. Espérons qu'un peu de raison reviendra et que cette horrible guerre prendra bientôt fin afin que l'humanité et la dignité soient restaurées dans notre région et que la justice et la paix l’emportent !
Sami El-Yousef
Directeur général
27 mai 2024