Homélie de la Résurrection de Pâques
Jérusalem, Saint-Sépulcre, 20 avril 2025
Actes 10,34.37-43 ; Col 3,1-4 ; Jn 20,1-9
Frères et sœurs, que le Seigneur vous donne la paix !
Cette année encore, nous sommes venus ici, au pied du tombeau vide du Christ, pour célébrer la fin de la Semaine de la Passion, qui est aussi le cœur de la vie de l'Église, de notre foi. C'est la seule certitude qui fonde notre existence : le Christ est ressuscité !
Nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur la signification de cette célébration et de ce jour, dans le contexte historique dramatique que nous vivons. Que signifie, aujourd'hui, pour l'Église de Jérusalem, la rencontre et le témoignage du Ressuscité ?
L'Évangile parle de la nuit et des ténèbres, qui pourtant ne font plus peur, car elles sont sur le point de céder la place à la lumière du matin qui s'annonce. Il parle d’une pierre massive, mais renversée et n'enfermant plus rien. De disciples qui courent. De linges - signes de mort - qui ne lient plus personne. Il parle d'yeux qui voient, de cœurs qui croient et d'Écritures qui se révèlent à la pleine compréhension. C'est un Évangile plein d'élan et de vie. Et il parle de nous !
L'Évangile nous demande de ne pas nous enfermer dans nos cénacles et de ne pas mesurer notre vocation à l'aune des nombreuses peurs, personnelles ou collectives, mais nous invite à lire la réalité, celle de notre Église, à la lumière de la rencontre avec le Ressuscité, aujourd'hui encore. Je dirais même surtout aujourd'hui.
Nous sommes l'Église du Calvaire, c'est vrai. Mais le Christ crucifié n'est pas tant un symbole de souffrance, qu’un signe avant tout d'amour et de pardon. Nous sommes donc aussi l'Église de l'amour, qui ne dort jamais, qui veille continuellement, qui sait pardonner et donner la vie, toujours, sans condition.
Nous sommes l'Église qui garde le Cénacle, mais pas celle qui a des portes barrées et des disciples paralysés par la peur. L'Évangile parle de Pierre et de Jean qui courent à la rencontre du Ressuscité. Le Cénacle est le lieu du Christ ressuscité qui franchit les portes fermées et donne l'Esprit, et qui dit d'abord « La paix soit avec vous ». Il nous demande donc d'être une Église qui surmonte les murs et les portes fermées, les barrières physiques et humaines, qui croit, proclame, construit la paix, mais « pas à la manière du monde » (Jn 14,27). Nous avons vu comment le monde raisonne, pense, va. Et combien son idée de paix est pauvre, j'ose même dire offensante ! Nous avons déjà été trop souvent témoins d'annonces de paix trahies et bafouées. L'Église devra construire la paix qui est le fruit de l'Esprit, qui donne vie et confiance, encore et encore, sans jamais se lasser. Et qui, à la logique humaine du pouvoir, à la dynamique de la violence et de la guerre, oppose des dynamiques de vie, de justice et de pardon.
L'annonce de la résurrection n'est pas une annonce d'immortalité, il ne nous est pas dit pas que nous ne connaîtrons pas la mort, sous ses différentes formes. Nous serons revêtus d'immortalité (cf. 1 Co 15, 54) lors de la seconde venue du Christ, lorsqu'il viendra juger le monde. La résurrection que nous voulons annoncer aujourd'hui est avant tout l'annonce d'une vie nouvelle, lumineuse, qui émerge de la noirceur de la mort et de ses aiguillons ; une mort qui n'échappe donc pas aux misères du monde, mais qui les surmonte. La résurrection est le « oui » de Dieu, même quand le monde crie « non ». Même et malgré les nombreux « non » de ce temps, d'un monde de plus en plus pris dans la spirale de la peur et de la vengeance, de la logique du pouvoir et de l'exclusion, dans ce monde nous voulons être les « oui » de Dieu, ceux qui proclament par leur vie et leurs œuvres qu'ils appartiennent au monde que Dieu a voulu et créé, où « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent » (Ps 84,11). Et qui savent témoigner de la paix du Cénacle, parce qu'ils l'ont rencontrée.
La résurrection n'est donc pas seulement joie, annonce, don, expérience. C'est aussi une responsabilité !
Si être chrétien, croire au Christ, c'est avoir rencontré le Ressuscité, si nous sommes ressuscités avec lui, si nous avons fait l'expérience du salut et de la vie nouvelle, alors la proclamation de la résurrection devient pour nous un devoir. Ce n'est pas une option facultative. Et c'est notre responsabilité de le faire non seulement quand la mort nous entoure, mais surtout quand la mort nous entoure. C'est ici et maintenant, dans ce contexte spécifique qui est le nôtre, que nous sommes appelés à dire qui nous sommes et à qui nous appartenons. À dire avec force et détermination que nous n'avons pas peur, que nous continuerons à être le petit reste qui fait la différence : à construire des relations, à ouvrir des portes fermées, à briser les murs de la division. Car le Ressuscité « est notre paix : des deux, (…), il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine » (Ep 2,14).
Nous nous trouvons ici devant le tombeau vide du Christ, une proclamation et un signe puissants. Ils nous rappellent que peu importent l’injustice de nos épreuves, l’humiliation du Golgotha, le poids et la douleur de la croix ; le tombeau vide du Christ est un signe et une preuve pour nous que nous verrons la justice, que l'espérance se réalisera, que la paix s'établira.
Nous sommes lucides. Nous savons ce qui se passe parmi nous et dans le monde, et nous n'avons pas beaucoup d'espoir quant à la capacité des dirigeants à trouver des solutions, qui semblent malheureusement de plus en plus éloignées. Nous ne pouvons qu'exprimer notre inquiétude face à une possible nouvelle détérioration de la situation politique et à l'aggravation de la catastrophe humanitaire qui a lieu, notamment à Gaza. Je pense en particulier à notre petite communauté qui, depuis de nombreux mois, est devenue un signe et un symbole de solidarité et d'espoir, un frêle esquif ancré à la vie, dans une mer de douleur et de souffrance.
Il semble que nous suivions un chemin de croix qui n'en finit pas, hérissé d'épreuves constantes. Mais je sais aussi que sur la Via Dolorosa, en silence, les femmes de Jérusalem pleurent sur Jésus. Que Simon de Cyrène intervient pour partager le fardeau de la croix. Que Véronique Lui essuie le visage. Le chemin de la souffrance n'est jamais solitaire, car c'est sur ce chemin que la compassion s'éveille et que l'amour prend forme. Souvenons-nous donc de nos frères et sœurs de Gaza et de tous ceux qui souffrent de la guerre, et efforçons-nous d'être pour eux et pour ceux qui sont dans le besoin, des mères, des Véronique, des Simon de Cyrène, et aidons-les à partager leur fardeau. Souvenons-nous d'offrir des gestes de dignité et d'attention à ceux qui sont parmi nous. C'est notre façon de proclamer la vie et la résurrection.
Il ne s'agit pas d'être naïf ou visionnaire. Il s'agit d'avoir la foi, de croire fermement que Dieu guide l'histoire. Malgré la petitesse des hommes, Dieu ne permettra pas que le monde se perde. « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver » (Jean 12,47). Même s'il nous semble que nous sommes encore sur la Via Dolorosa, nous savons cependant que la conclusion est là, à la rencontre du tombeau vide du Christ. Et cette certitude nous accompagne toujours.
Suivre Jésus, même dans ces épreuves très dures qui sont les nôtres, est donc on ne peut plus irrésistible. N'oublions pas, que finalement l'Évangile parle d'une pierre renversée. Même si tant de problèmes et de difficultés nous affligent, nous voulons donc affirmer avec une réelle confiance et une claire détermination que rien ne nous maintient enfermés dans nos tombeaux, que nous sommes une Église vivante, qui ne baisse pas les bras face aux rochers qui se dressent devant nous. L'Évangile nous invite à nous ouvrir, à regarder au-delà et à courir, comme les femmes et les disciples, pour proclamer qu'il n'y a rien de plus beau que de vivre avec le Christ ressuscité, aujourd'hui encore, partout et malgré tout : à Jérusalem, à Bethléem, à Nazareth, à Amman, à Nicosie, et même à Gaza.
Confions-nous à la Vierge, forte et fidèle au pied de la Croix, mais aussi pleine d’allégresse à la rencontre du Christ ressuscité. En suivant son exemple, nous pouvons tenir bon dans l'épreuve et, grâce à l'action de l'Esprit, vivre pleinement la joie de nous sentir toujours aimés de Dieu.
*Bureau des médias du Patriarcat latin Traduction