Au matin du 6 avril, une douloureuse stupeur frappait la résidence du Patriarcat latin à Jérusalem. Mgr Albert Oesch, qui en était l'hôte depuis plus d'un mois, venait d'être trouvé mort au pied de son lit. Intrigué par son retard à descendre pour la messe, le sacristain était venu le chercher. Mais on ne trouvait plus qu'un cadavre inanimé.
Certes, on savait Mgr Oesch, déjà frappé de deux congestions cérébrales, sous une menace permanente fort grave. Mais la veille au soir encore, il avait passé très jovialement, avec les membres de la curie patriarcale, les moments de fraternelle détente suivant le repas. Cependant, l'heure de Dieu avait sonné pour lui. Elle l'a certainement trouvé prêt, au terme d'une
Carrière sacerdotale très bien remplie, après 4 années de maladie purificatrice, alors que le chapelet ne le quittait guère en ses heures de solitude et d'inactivité forcée.
Grand bienfaiteur du Patriarcat latin et, à ce titre, chanoine honoraire du Saint-Sépulcre, Mgr Oesch mérite bien que nous évoquions ici sa vie apostolique.
Il était né le 19 avril 1897 à Balgach, en Suisse, tout proche du Rhin qui sépare en cet endroit la Suisse et l'Autriche. Il appartenait à une famille nombreuse de 10 enfants. Un de ses frères cadets fut prêtre et est mort, lui aussi subitement, en 1960. Il a encore deux sœurs religieuses, l'une en Colombie et l'autre, abbesse d'un monastère cistercien en Suisse. Li fit son gymnase à Einsiedeln et ses études théologiques au Canisianum des Jésuites d'Innsbruck, avant d'être ordonné prêtre en 1920 à Saint-Gall, son diocèse.
Après avoir servi 9 ans comme vicaire à Elawil, il fut nommé en 1929 curé de Tha. Il développa avec beaucoup de zèle la succursale de Rheineck, à l'endroit où le Rhin se jette dans le lac de Constance. Il y fit construire en 1933 une église dédiée à sainte Thérèse, réussite d'art moderne conjuguant trois rotondes, surmontées d'un clocher carré. Mais il ne se contenta pas de bâtir l'Église. Son zèle parvint aussi à y multiplier les catholiques qui y devinrent la majorité.
Lors de la Guerre de 1940, il laissa cette paroisse en plein essor à son frère cadet. Li fut chargé par le Saint-Siège de missions en Amérique et en Suède. À son retour, il fut nommé président de l'association des mères de Suisse et déploya une grande activité charitable, surtout au bénéfice de gens persécutés par les nazis. Li aida en particulier les Jésuites d'Allemagne et d'Autriche à se créer un refuge en Suisse. Il s'occupa aussi avec beaucoup de dévouement de l'assistance aux travailleurs italiens dans les chantiers suisses.
Lors de la réorganisation de l'Ordre du Saint-Sépulcre après 1949, Mgr Oesch fut nommé secrétaire de la lieutenance suisse. À Rome, où l'on avait apprécié son dynamisme et son dévouement intelligent, il fut aussi nommé membre de la Consulta ou conseil supérieur de l'Ordre et spécialement chargé des lieutenances de langue allemande. Pendant quelques années, Mgr Oesch allait déployer une intense activité pour le développement de l'Ordre dans ces pays. Il fut pratiquement la cheville ouvrière de plusieurs congrès qui marquèrent cet essor nouveau : à Einsiedeln, en juillet 1953 ; à Saint-Gall, en novembre 1954 ; à Lugano, en 1957. Lors de ce dernier congrès, Mgr Oesch fut promu Protonotaire apostolique et prieur de la Suisse allemande.
C'est au titre de personnalité importante de l'Ordre du Saint-Sépulcre que Mgr Oesch fut amené à s'intéresser à la Terre Sainte, objet primordial de l'Ordre. Il le fit avec un tel dévouement et un tel succès que S.B. Mgr le patriarche de Jérusalem le nomma chanoine honoraire du Saint-Sépulcre, l'agrégeant ainsi à bien juste titre à la famille patriarcale.
Ce fut lors d'un pèlerinage en Terre Sainte, en 1954, que Mgr Oesch se lia avec le Patriarcat latin. De Bethléem, où il assista le Patriarche pour les cérémonies de Noël, il alla visiter le Séminaire patriarcal de Beit Jala. Il fut bouleversé par l'état où il le trouva, glacial, laissant passer l'eau, malsain pour la santé des séminaristes. Ému de cette situation et apprenant que le Patriarche était sans ressources pour y remédier, il se fit aussitôt, à la Consulta romaine de l'Ordre, l'éloquent avocat d'une restauration indispensable.
À Pâques 1956, il revint à Jérusalem avec des pèlerins suisses. On sait combien de groupes viennent ainsi chaque année et visitent les sanctuaires, mais malheureusement, ils repartent sans même soupçonner l'existence des paroisses du diocèse. Réagissant contre cette indifférence, Mgr Oesch conduisit ses pèlerins dans quelques paroisses et constata que ce n'était là nullement diminué l'intérêt d'une visite en Terre Sainte. En 1958, il devança son beau groupe de membres suisses de !Ordre pour parcourir une à une toutes les missions de Terre Sainte.
Il prit ainsi bon contact avec les prêtres et leurs œuvres, se renseignant de toute première main sur les problèmes et les besoins de leurs paroisses. Le résultat en fut, trois mois plus tard, une brochure très vivante et bien personnelle, Das Heilige Land ruJt, qui voulait intéresser le public de langue allemande à la vie et aux nécessités des missions de Terre Sainte.
Grâce aux démarches de Mgr Oesch à la Consulta de l'Ordre du Saint-Sépulcre, la construction du grand séminaire put démarrer, après les événements de 1956, en avril 1957. Elle fut terminée en mars 1958.
S.B. Mgr le Patriarche voulut que Mgr Oesch, de passage en Terre Sainte, bénît lui-même la chapelle et inaugurât ainsi ce nouveau grand séminaire bâti en belle pierre, bien orienté et parfaitement compris à l'intérieur, offrant désormais assez de place pour 28 élèves. Une séance de gratitude fut offerte à Mgr Oesch qui représentait si bien la Consulta et tous les bienfaiteurs de l'Ordre. À cette occasion, Mgr Oesch dit sa résolution de promouvoir encore, sans délai, la restauration, indispensable aussi, du petit séminaire.
De fait, peu après son retour à Rome, la décision était prise à la Conmlta et les travaux démarraient immédiatement. Dès le 20 mars 1959, les petits séminaristes entraient définitivement dans une bâtisse totalement transformée, désormais aménagée de façon saine et rationnelle pour une soixantaine d'élèves.
On avait bien espéré que Mgr Oesch vînt inaugurer aussi en 1959 ce nouveau petit séminaire dû à ses démarches. Hélas, il n'en fut rien.
Le 10 août 1958, après une grande messe chantée à Roderer, en Alsace, chez un confrère de l'Ordre, le chan. Henry Cetty, il fut frappé par une congestion cérébrale. Transporté d'urgence dans un hôpital de Bâle, il commença la dernière phase de sa vie, cherchant soulagement et amélioration en diverses maisons de cure. Pour l'homme si actif qu'il était tout bouillonnant d'idées et d'initiatives, toujours en mouvement, son inactivité forcée fut une épreuve très crucifiante. Il dut en effet abandonner toutes ses activités, soit pour l'Ordre, soit pour la Terre Sainte, et se contenter de pouvoir assurer une petite aumônerie en Autriche. En août 1960, alors que le Patriarche de Jérusalem se proposait de le rencontrer à Innsbruck, en revenant du Col.'grès de Munich, Mgr Oesch fut terrassé par une seconde attaque. Il était de nouveau contraint de reprendre les ménagements et les traitements qui coûtaient tant à sa nature ardente.
En février dernier, il rencontrait à Rome S. B. Mgr le Patriarche qui s'y trouvait pour une session de la Commission centrale du Concile. Li lui confia que son médecin lui avait conseillé d'essayer un séjour dans le climat si sain de Jérusalem. Le Patriarche, qui l'avait déjà invité, lui dit la joie qu'on aurait de le recevoir au Patriarcat. Sans hésiter ni plus attendre, Mgr Oesch prit l'avion et arriva ainsi à Jérusalem le 23 février. Installé dans l'appartement voisin de celui du patriarche, il a été admirablement soigné par les sœurs et fraternellement accueilli par tous les membres de la Curie. Il se savait et on le savait menacé. On modérait donc la dévotion qui le poussait à descendre au Saint-Sépulcre.
Profitant d'une belle journée, il s'est cependant rendu dans la mission voisine de Birzeit. Le 25 mars, il a eu la grande joie de visiter le séminaire patriarcal à Beit Jala, de revoir le grand séminaire qu'il avait inauguré en 1958, mais aussi les locaux du petit qu' il n'avait encore pu contempler.
Dans une fête de famille toute intime, un élève du petit séminaire lui exprima la reconnaissance de tous . Cette journée à Beit Jal a l'avait ravi. Il se proposait d'y revenir après P âques. Personne ne soupçonnait qu'il s'était agi d'un adieu définitif.
Dans la journée du 5 avril, il recevait encore des amis et se disait en pleine forme. Le soir, il vint passer ses derniers instants, sans le savoir, en famille, très cordialement comme tous les soirs, avec les prêtres de la Curie sortant du repas. Rentré chez lui, Mgr Oesch a dû y être frappé soudainement, avant même de se déshabiller. Au matin suivant, le Docteur appelé diagnostiquait une thrombose.
Pour Mgr Oesch, chanoine honoraire du Saint-Sépulcre, Mgr le chan. Hadweh a chanté en la Concathédrale la messe de requiem devant S. E. Mgr Gélat, évêque auxiliaire, et un assez nombreux clergé, devant une représentation remarquable des communautés qui remplissaient l'église. Mgr Siman, vicaire patriarcal d'Amman, a donné I' absoute. Un cortège de 12 autos a accompagné le défunt à sa dernière demeure, à Gethsémani. De la basilique jusqu'à la tombe, les membres de la Curie ont eux-mêmes porté le cercueil. La communauté franciscaine, avec S.E. Mgr Pasini, s'est jointe au cortège conduit par S.E. Mgr Gélat et Mgr Siman qui a présidé aussi les dernières prières.
Mgr Üesch avait voué ses dernières années à la Terre Sainte et exprimé le souhait d'y mourir. Aux yeux de tous, la Providence a visiblement disposé cette fin de sa carrière apostolique à Jérusalem. Li repose désormais parmi ses confrères du Patriarcat, à l'ombre de la Basilique de Gethsémani, dans la vallée même de Josaphat, en un cadre vraiment unique au monde de paix profonde et de prestigieux souvenirs.