Cécile Lemoine/ TSM. Photos (3/5) et notes : Cécile Leca/ lpj.org
Cécile Lemoine/ TSM. Photos (3/5) et notes : Cécile Leca/ lpj.org
TERRE SAINTE - Incontournables des processions chrétiennes, les kawas ne font pas seulement partie du folklore de Jérusalem. Ils sont les gardiens de traditions héritées de plusieurs siècles d’Histoire et veillent à un principe immuable de la Terre Sainte : que les choses restent comme elles sont.
[…] Au-delà de leur présence séculaire et de leur côté folklorique, on sait peu de choses sur les kawas : pas d’études, ni d’articles ou le moindre chapitre de livre. Même l’orthographe de leur nom fait débat : kawas, cavas, kavas, parfois caouasse… De quoi piquer notre curiosité : qui sont-ils vraiment ? Quelle est leur histoire ? Que représentent-ils aujourd’hui et quelle est leur utilité alors que les processions chrétiennes sont - le plus souvent - escortées par la police ?
L'uniforme traditionnel des kawas comprend une veste brodée, un tarbouche, un sabre et un bâton.
Un peu d’histoire
En arabe, "kawas" signifie “archer”. Sous les Ottomans (1299-1923), ce terme est arrivé à désigner des gardes du corps individuels armés non plus d’un arc mais d’un sabre. D’abord au service des dignitaires de la Sublime Porte[1], les kawas sont progressivement prêtés à des diplomates étrangers. “Cette garde leur était nécessaire, non seulement pour protéger leur personne et leur hôtel contre l’hostilité des populations indigènes encore mal habituées aux Européens, mais aussi pour leur permettre de faire efficacement la police parmi leurs nationaux”, explique Gérard Pélissié du Rausas, directeur de l’école française du droit au Caire, dans un ouvrage de 1911 intitulé Le régime des Capitulations dans l’Empire Ottoman.
Le renouvellement des Capitulations[2], en 1740, permet à la France de s’approprier un droit auparavant réservé aux autorités ottomanes : le recrutement de ses kawas. Ils étaient jusqu’alors imposés par la Sublime Porte, qui les choisissait parmi les janissaires, soldats d’élite de l’infanterie turque appartenant à la garde du sultan. Le consulat français préfère les recruter parmi la population locale. La fonction s’accompagne dès lors d’un statut particulier : la France offre à ses “protégés” des exemptions d’impôt ou de droits de douane. “Le statut de kawas devient particulièrement convoité”, précise Mafalda Ade-Winter, historienne spécialiste de la Syrie ottomane. […]
Les kawas escortant le Pape Benoît XVI lors de son pèlerinage en Terre Sainte, en 2009
"Arabes suisses"
Par leur rôle et leur prestance, les kawas sont parfois assimilés aux gardes Suisses du Vatican : “Ce sont des Suisses arabes”, note le père Marie-Alphonse Ratisbonne, cofondateur de la Mission Notre-Dame de Sion lors de son premier déplacement à Jérusalem en 1856. Ce jésuite atteste que, dès cette époque, les kawas escortaient les autorités religieuses dans la ville : “Le Patriarche est toujours précédé de deux grands kawas et de son drogman[3]”, écrit-il dans un texte publié par les Annales de la Mission en juin 1894.
À ce jour, l’origine de la collaboration de ces gardes consulaires avec les Églises chrétiennes demeure un mystère. La rédaction a contacté des historiens qui oscillent entre plusieurs explications. “À cause de leur identification avec des intérêts consulaires étrangers, il n’est pas étonnant que les kawas aient continué à jouer un rôle du moins cérémonial à des endroits avec une forte présence étrangère et coloniale, tel le Liban ou Jérusalem”, estime la chercheuse Mafalda Ade-Winter, en référence au fait que le Consulat de France à Jérusalem s’était arrogé la responsabilité de la protection de la présence catholique en Terre Sainte. Il a pu y avoir des prêts de kawas entre les deux institutions.
En dehors de Pâques et de Noël, les kawas accompagnent la procession du Patriarche en portant simplement un tarbouche.
“Protéger la Croix”
Toutefois, comme chacune des trois principales Églises dispose de ses propres kawas, le franciscain Athanasius Macora, en charge du Statu quo pour la Custodie de Terre Sainte, fait une autre hypothèse : “L’origine de l’utilisation des kawas est probablement liée au fait qu’ils étaient nécessaires pour maintenir l’ordre au Saint-Sépulcre.” Les kawas feraient ainsi partie du Statu quo, une partition des lieux, des tâches et des cérémonies au Saint-Sépulcre, fixée par les Ottomans en 1852 et restée inchangée depuis. Objectif : apaiser les tensions entre les différentes communautés chrétiennes qui cherchent à s’approprier l’entièreté du lieu saint. Frère Athanasius poursuit : “Aujourd’hui, les kawas servent avant tout un objectif de souveraineté. Ils affirment la présence de l’Église qu’ils représentent", explique-t-il avant d’illustrer : "lors des célébrations de Noël à la basilique de la Nativité, l’entrée d’un Patriarche se fait ainsi toujours en présence des dragomans et des kawas des deux autres communautés, en signe de souveraineté.” […]
Les kawas accompagnant le Patriarche lors de la procession de Noël à Bethléem
William est kawas pour le Patriarcat latin de Jérusalem depuis un peu plus de trente ans. Pour lui, être un kawas est un honneur car son rôle est de "protéger le Patriarche, les prêtres et les évêques. Parce que nous ouvrons les processions, nous sommes aussi chargés de veiller sur la croix du Christ, qui précède le clergé." Avec un sourire, il conclut, "additionnellement, ça permet aussi d'assister à toutes les célébrations... en ayant la garantie d'y avoir une très bonne place."
Article intégral paru dans la version française du magazine Terre Sainte d’octobre-novembre 2022. Le magazine Terre Sainte, c’est tous les deux mois, dans votre boîte aux lettres, la foi, l’histoire, la spiritualité
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[1] Gouvernement central de l'Empire ottoman à Istanbul (Constantinople).
[2] Accords entre l'Empire ottoman et plusieurs puissances européennes (dont la France) octroyant des droits et des privilèges aux chrétiens résidant dans les territoires ottomans, après la chute de l'Empire byzantin.
[3] Interprète.