Logo
Donate Now

Une passion de l'Homme: Conférence à Rimini - 20 août 2022

Question :

"Au Moyen-Orient, les conflits et les guerres semblent insolubles. Si les nombreuses tentatives ont sans doute empêché une nouvelle escalade, une véritable paix semble bien loin.

Au milieu des rébellions et des résignations, au milieu des nombreux discours vides et des idéologies erronées, comment vivez-vous votre engagement pour la justice et la paix ?"

 

Parler de dialogue, de justice et de paix en Terre Sainte est toujours quelque chose d'épuisant. C'est une tâche que l'on essaye d'éluder de plus en plus, afin d'éviter "les discours vides et les idéologies erronées", comme vous dites, qui ont caractérisé pendant des années réunions, discussions et assemblées, et dont tout le monde est aujourd'hui fatigué. On l'élude aussi car le dialogue et la paix semblent être précisément un mirage qui s'éloigne de plus en plus. Ce qui laisse dans l'âme des gens des sentiments de frustration et de méfiance, voire de "rébellion et de résignation". C'est pourquoi, ces dernières années, j'essaie autant que possible d'éviter d'en parler. En tant que pasteur de l'Eglise de Jérusalem, je considère qu'il est plus fructueux de parler à ma communauté d'unité et de la capacité de créer des liens comme quelque chose de constitutif de la vie de foi, aussi bien entre nous dans l'Eglise qu'avec tous les autres, plutôt que de leur parler de "justice et paix", d'"espérance" ou d'"avenir" - termes qui feraient tomber mon discours dans la banalité et donc dans l'insignifiance. Je suis d'ailleurs de plus en plus convaincu qu'on ne peut parler d'espérance sans avoir la foi, car l'espérance est enfant de foi. Parler d'espérance aujourd'hui, sans la placer dans un contexte de foi et de confiance, c'est vraiment, pour reprendre vos termes, donner un discours vide.

Mais revenons à la question que vous m'avez posée. Pourquoi alors ai-je accepté de parler ici de "justice et paix" ? Tout simplement parce que vous m'avez suggéré d'aborder ce sujet sous un angle bien précis, celui personnel, c'est-à-dire en me demandant comment je vis mon engagement pour la justice et la paix.

Un tel angle me permettra peut-être d'aborder le sujet de manière plus concrète et plus significative.

Aujourd'hui, il est vrai que, sur le plan politique et institutionnel, parler de paix et de justice au Moyen-Orient et en Terre Sainte est un peu comme prendre le parti de ceux qui se battent contre des moulins à vent. Il est toutefois nécessaire que le désir de paix et de justice trouve une place dans le cœur de chacun, et en particulier de ceux ayant des responsabilités. Chacun de nous, surtout nous croyants, doit avoir conscience que l'engagement pour la paix et la justice n'est pas un "bonus" dans la vie de foi, un élément accessoire dont on peut se passer. Au contraire, la foi en Dieu engendre immédiatement en tout homme un désir de bien ou, pour reprendre le thème de cette conférence, une "passion" irrésistible de l'Homme pour une vie digne de sa vocation, en tant que personne créée à l'image et à la ressemblance de Dieu.

Avant d'expliquer comment je vis mon engagement à cet égard, je dois toutefois esquisser, au moins brièvement, le contexte dans lequel je vis. Ceci afin que l'on sache plus clairement en quoi consiste cet engagement, et si et comment je l'exprime. Je n'ai pas l'intention de présenter ici les dynamiques politiques, religieuses et sociales complexes de la Terre Sainte. Elles sont désormais bien assez connues, du moins dans les grandes lignes, et il existe d'innombrables études sur le sujet que chacun peut trouver. Sans compter que cela me prendrait trop de temps, et que je pense que ce serait de toute façon inintéressant. Il me suffit de dire que sur le plan politique et social, auquel est lié le plan religieux, le manque de confiance est commun à tous - Israéliens comme Palestiniens. Aucun ne fait confiance à l'autre, tant sur le plan politique que sur le plan social. Les deux populations ne veulent même plus entendre parler du soi-disant "processus de paix", après ses nombreux échecs et trahisons. La politique, des deux côtés du mur, est faible : cinq élections politiques en deux ans pour Israël, et aucune élection politique depuis 2005 pour la Palestine. Des deux côtés, il y a un manque de leadership et de vision, une polarisation croissante des positions politiques, et d'énormes disparités économiques et sociales entre Palestiniens et Israéliens... À Gaza, la situation est encore plus problématique : deux millions de personnes enfermées sur un tout petit territoire, dans une situation de grande pauvreté et de chômage très élevé. Là-bas, les gens sont régulièrement privés d'eau et d'électricité, et vivent sous un régime à la fois de plus en plus en difficulté et profondément intrusif dans la vie de la population et des institutions. Pendant ce temps, en Cisjordanie, l'expansion des colonies rend les perspectives d'un accord possible - bien que lointain - de plus en plus ténues. D'autre part, l'emprise de l'Autorité palestinienne sur la vie du territoire s'affaiblit. Plus profond et plus douloureux chez les Palestiniens, en outre, est le sentiment d'abandon de leur cause par la communauté internationale : l'impression que l'occupation dont ils sont victimes n'intéresse plus omme autrefois, et qu'ils sont seuls sur le front à se battre pour leurs droits, pour l'indépendance de leur pays, la Palestine, et pour une vie digne. La liste des crises, en somme, est longue, mais je vais m'arrêter là. Ce ne sont là que quelques-uns des éléments qui caractérisent néanmoins la vie de ma communauté, dans laquelle j'ai été appelé à travailler.

Que signifie alors, dans ce contexte, s'engager pour la paix et la justice ? Comment cet engagement construit-il ma vie et mon rôle de pasteur, appelé à prononcer une parole claire, une parole de vérité, certes, mais aussi, en même temps, une parole qui donne confiance ? Une parole qui ouvre des perspectives, qui ne m'enferme pas, moi et ma communauté, dans une attitude de résignation ou de rébellion, surtout dans le contexte déjà évoqué de méfiance et d'absence de dynamiques politiques porteuses de véritables changements ?

Tout d'abord, il est nécessaire, pour un tel engagement, d'avoir une réelle conviction personnelle. On ne peut séparer ses propres paroles de ses propres convictions. La crédibilité du témoin est le préalable nécessaire à tout engagement sérieux. Le travail d'une église qui s'exprime en faveur de la paix et de la justice n'aurait aucun sens et aucun succès si son pasteur n'y croyait pas réellement. Il faut être vraiment convaincu et profondément conscient que dans ce contexte déchiré, l'engagement pour la paix et la justice doit être - comme je l'ai dit - l'expression première et immédiate de la vie de foi. Si ma tâche première en tant que pasteur est de veiller à la présence de Dieu dans la vie véritable de ma communauté, il doit aussi être clair pour moi que défendre les droits de Dieu signifie aussi défendre les droits de l'homme, et vice versa. Ces deux aspects ne peuvent être séparés.

A cet engagement personnel, chaque pasteur apporte toutefois aussi, nécessairement, sa personnalité, son expérience de vie, sa sensibilité, son histoire.

Cela n'aurait aucun sens pour moi de parler de justice et de paix comme le faisaient mes prédécesseurs, par exemple comme le Patriarche Michel Sabbah. Et ce, tant parce que les temps ont changé que parce que mon histoire et mon expérience sont différentes. Mon engagement, mes paroles doivent être, pour être crédibles, cohérents avec ce que je suis. En même temps, il est également important d'être conscient que ma présence en Terre Sainte en tant que pasteur n'est pas le fruit du hasard mais de la Providence, ce qui signifie que la Providence, en ce moment, a besoin d'un engagement pour la justice et la paix lié à mon être, à mon expérience personnelle, quelque chose que j'ai le devoir de transmettre à ma communauté. Je suis également conscient, bien sûr, que la communication doit être à double sens : que mon histoire, ma personnalité et mon expérience doivent être enrichies par l'écoute et la participation de ma communauté. Elle a le droit de trouver en moi un cœur attentif et capable de comprendre.

Quelle est donc mon approche, qu'est-ce qui me tient à cœur dans cet engagement, qu'est-ce qui me dérange et me perturbe ?

Je crois qu'on ne peut pas parler sérieusement de Justice et de Paix dans une perspective chrétienne sans y ajouter le mot Pardon, qui est pourtant considéré comme presque tabou en Terre Sainte.

Je suis convaincu que nous ne pourrons pas surmonter les obstacles qui se dressent aujourd'hui sur le chemin de la réconciliation, ni construire un avenir pacifique, si nous n'avons pas le courage de purifier notre lecture de l'histoire de l'énorme fardeau de douleur et d'injustice qui conditionne encore lourdement le présent et nombre des choix effectués aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'oublier, certes. Cependant, il sera très difficile de construire un avenir pacifique si l'on place le fait d'"être une victime" à la base de son identité personnelle, sociale et nationale, plutôt que de fonder ses perspectives sur un espoir commun. Le pardon est un ingrédient nécessaire pour sortir de cette impasse. Il ne peut y avoir de purification des relations si l'on n'a pas le courage de parler de pardon, d'ouvrir des voies de réconciliation, non seulement au niveau des petits groupes ou des communautés, mais dans un contexte plus général, tant politique que religieux.

Ce n'est pas un sujet évident : dans le contexte politique israélo-palestinien, le pardon est compris comme l'abandon de la défense de ses droits. En outre, les différentes matrices culturelles et religieuses locales ont une influence considérable sur cette question. Le judaïsme, l'islam et le christianisme ont des approches très différentes de l'expérience du pardon, qui est souvent compris par tous comme étant synonyme de faiblesse.

Pour tenir un tel discours, cependant, je dois posséder cette volonté personnelle de vivre le pardon, de me réconcilier, de faire en sorte que ma communauté voit, à travers moi, que la réconciliation et le pardon ne sont pas simplement des mots, mais une vie vécue, visible et tangible, et que le pardon engendre la Paix. Ils doivent voir en moi une personne en paix, capable de faire une synthèse vitale entre la foi en Dieu et la vie.

Quant à l'impact sur la vie réelle de mon peuple, il faut garder à l'esprit une question, une question à laquelle il n'est pas facile de répondre : comment puis-je les aider à repenser leur histoire et à purifier leur mémoire, comment puis-je leur parler de pardon tant que leur vie quotidienne est marquée par l'injustice et la douleur ? On me dit souvent : "Pour vous les Italiens, il est facile de parler de paix, de justice et de pardon, mais pour nous qui vivons ces difficultés tous les jours, comment pensez-vous qu'il soit possible de parler de pardon ?". Il n'est pas facile de répondre à une telle question. Je reste toutefois convaincu qu'il est nécessaire de parler du pardon - tout en étant conscient qu'il est également nécessaire d'écouter et de donner une voix à cette même résistance au pardon. Cette réconciliation et cette synthèse sont difficiles, douloureuses, et ne fonctionnent pas toujours. Rester dans et vivre cette déchirure fait aussi partie de mon service, sans la prétention d'imposer des solutions, mais simplement d'"être" dans cette attente à la fois confiante et douloureuse, pleine d'espoir pour un changement possible mais épuisante, et surtout, fondée sur la foi dans le Dieu providentiel.

Et c'est là qu'entre en jeu un autre aspect, dont on ne parle pas souvent, mais qui est centrale dans le service que je rends : la solitude. S'engager pour la paix et la justice, ainsi que pour le pardon, n'est pas quelque chose qui suscite une sympathie immédiate. Se trouver au milieu de situations où une prise de position totale est requise, faire entendre la revendication de droits et de justice pour ceux dont la dignité en tant que personne ou que peuple est blessée et offensée, mais sans céder à la tentation de l'exclusion, du rejet ou de l'ostracisme, exige nécessairement aussi d'accepter d'être parfois - au mieux - incompris. Il n'est pas acquis que mes paroles seront comprises, que ma démarche sera acceptée. Mais s'ils viennent d'une conviction personnelle, intérieure, sincère, fondée sur la foi, alors je dois aussi savoir accepter cette solitude inévitable et conséquente comme un moyen nécessaire, pour porter du fruit en son temps - une solitude que seule une relation sérieuse et solide avec le Christ peut soutenir. Je ne pense pas qu'il soit possible d'être vraiment engagé, en tant que croyant, en faveur de la justice et de la paix, et d'être simultanément acclamé.

Depuis de nombreuses années, je suis accompagné dans ce discernement par un passage de l'Evangile : le choix dramatique imposé au peuple entre Jésus et Barabbas. C'est un choix qui est placé devant chacun de nous, chaque jour. Pilate présente au peuple deux figures du Messie : Jésus et Barabbas. Barabbas, en araméen, signifie "fils du père". C'est un titre qui imite la figure de Jésus, le vrai Bar-Abba, le Fils du Père, qui appelle ce dernier "Abba". Barabbas était un activiste, comme on dirait aujourd'hui : il a lutté pour la libération de son peuple. Il avait ses propres partisans, il désirait la justice, la liberté, la dignité pour son peuple. Son messianisme était simple, concret, attrayant et pas du tout utopique. De l'autre côté, il y avait Jésus.

En tant que Patriarche latin de Jérusalem, je me suis trouvé, dès le début, dans une situation qui exige un choix, un positionnement clair et précis face au conflit plus ou moins armé que j'ai décrit au début. Comment concilier cette exigence de prendre parti avec qui je suis et ce que je viens de dire sur le pardon ? Plus généralement, je me pose fréquemment la question de savoir comment défendre les droits de Dieu et de l'homme dans ce contexte, c'est-à-dire comment parler du pardon, comment être fidèle au Christ qui, sur la croix, pardonne librement, sans donner l'impression de ne pas défendre le peuple qui m'est confié, ses droits, ses attentes ? Qu'est-ce que cela signifie concrètement d'être du côté de Jésus et non de Barabbas ? Comment prêcher l'amour aux ennemis sans donner l'impression de confirmer involontairement un récit contre l'autre, israélien contre palestinien, ou vice versa ? Comment guérir les divisions par des choix fermes et justes, sans créer de nouvelles fractures, et toujours avec miséricorde ? Comment être un évêque, exiger l'obéissance, mais tendre l'autre joue à ceux qui n'obéissent pas et fomentent le conflit ? Chaque jour, je suis moi aussi obligé de faire un choix : Jésus ou Barabbas.

Au Moyen-Orient, à Jérusalem comme à Alep, chaque chrétien, comme moi, est confronté à ce choix dramatique : Jésus ou Barabbas ? Mourir sur la croix ou combattre ?

Comment pouvez-vous parler de la délivrance de l'esclavage du péché, du pardon, quand votre peuple souffre de la domination d'une autorité étrangère ? Est-il permis de mesurer la douleur et la perte de vie par la quantité ? Plus concrètement, on me demande souvent : "Comment puis-je espérer pardonner aux Israéliens qui m'oppriment, tant que je suis sous oppression ? Ne serait-ce pas leur donner le dessus, leur laisser le champ libre, sans défendre mes droits ? Avant de parler de pardon, n'est-il pas nécessaire que justice soit faite ?". Les Israéliens, à leur tour, peuvent répondre : "Comment pourrais-je pardonner à ceux qui tuent mon peuple ?". Autant de questions derrière lesquelles se cache une douleur réelle et sincère. "Comment pouvez-vous parler de relation avec le 'Père qui est aux cieux' lorsque votre enfant, votre père, votre mère sont tués, ou arrêtés et humiliés sous vos yeux ? Comment pouvez-vous me parler de joie dans l'Esprit quand je suis privé de mes droits fondamentaux ?" Après tout, Barabbas n'est pas si mauvais. Il est même rationnel.

Pourtant, choisir le Christ n'est pas choisir l'indifférence face au mal dans le monde. Oui, il y a la "mentalité Barabbas", le fondamentalisme de ceux qui veulent faire des sortes de nouvelles croisades ; il y a aussi l'indifférence d'un christianisme désincarné. Après tout, les chrétiens ont choisi le Christ, qui est mort sur la croix, échoué et vaincu. D'un point de vue strictement humain, il ne fait aucun doute que le pardon ressemble à une défaite. Jésus n'a résolu aucun des problèmes sociaux et politiques de son époque. Jésus n'a libéré l'humanité d'aucune oppression humaine. Il n'a pas opéré une libération, mais une délivrance. Il a rétabli dans sa racine profonde la relation entre Dieu et les hommes et entre les hommes et les hommes.

Face au mal du monde, mon devoir de pasteur est-il donc de dire que la tâche du chrétien est simplement de souffrir, de mourir sur la croix comme Jésus, de se laisser transpercer, de se laisser vaincre ? Que les chrétiens n'ont rien à dire face à la tragédie qui se déroule devant eux ? Certainement pas.

Devant la situation au Moyen-Orient, les chrétiens donnent d'eux-mêmes certainement autant que les autres, parce que la justice, la paix, la liberté, la dignité et l'égalité sont des attitudes qu'ils ont vécues personnellement, des attitudes qui leur appartiennent et qu'ils veulent rendre communes à tous. Ils coopèrent avec tous, sans aucune exclusion, pour que ce désir devienne réalité. Les chrétiens désirent et luttent pour la justice et la dignité, car toutes deux appartiennent à l'harmonie qui nous a été restituée par le sacrifice du Christ. Mais le chrétien ne se laisse pas non plus changer par le mal qui se présente à lui, même s'il en souffre comme tout le monde. Tout simplement parce qu'il a déjà été libéré et racheté. Cependant, selon la mentalité de Barabbas, cette façon de lutter pour la justice et la paix est un échec ; elle ne mène nulle part. C'est une stratégie de vœux pieux sans avenir. Selon cette vision, le christianisme au Moyen-Orient est impuissant, fini, écrasé.

Pourtant, le témoignage de tant de personnes, en particulier des petits, des pauvres, de ceux qui n'ont rien, nous dit que, même si beaucoup de choses sont détruites, une graine reste. Et de là, la vie renaîtra.

Je peux témoigner de l'expérience de la communauté chrétienne de Gaza.

C'est une petite communauté ; quelques centaines de personnes dans un océan de deux millions. Ils ont tout à fait le droit de se sentir écrasés et limités dans leurs droits ; ils connaissent d'énormes difficultés, et pas seulement économiques. Mais c'est peut-être précisément le fort caractère religieux qui imprègne la bande de Gaza qui affecte cette petite communauté, dont la vie tourne entièrement autour de l'Eglise. En plus de servir la communauté chrétienne, trois communautés religieuses féminines et une masculine se consacrent aux personnes handicapées et à l'éducation, et la quasi-totalité de leurs bénéficiaires sont des musulmans. Caritas, qui est disséminée sur tout le territoire, du nord au sud, apporte son aide à ceux qui n'ont pas accès aux soins médicaux. J'ai personnellement rencontré des familles qui n'ont rien, mais vraiment rien, qui vivent dans des bidonvilles avec presque rien... mais où Caritas est présent et où ses employés, tant chrétiens que musulmans, totalement dévoués à leur mission, partagent une passion commune : faire quelque chose d'utile pour ces gens, leur donner de l'espoir avec des gestes simples mais aussi concrets, comme leur acheter un réfrigérateur, une cuisinière, une salle de bains, des chaussures pour leurs enfants... Des choses insignifiantes pour nous, mais essentielles pour ceux qui n'ont rien. Mais, surtout, ce fut une consolation pour moi d'entendre, de la part de ces jeunes de Gaza, que leur premier souci est d'écouter et de ne laisser personne se sentir seul.

Je n'ai jamais entendu, au cours de mes nombreuses visites au sein de cette communauté, un seul mot de ressentiment envers qui que ce soit. Au contraire, plusieurs fois, ils ont exprimé leur souci de ne pas laisser la haine, la rébellion et la colère assécher leur cœur. J'aime souvent citer le témoignage de Ghada, une chrétienne de Gaza, qui a eu le courage de venir à Jérusalem et de témoigner devant l'Eglise réunie pour la veillée de Pentecôte. Devant tous, elle a déclaré qu'elle n'avait pas renoncé à son désir de justice pour son peuple et pour Gaza, mais qu'elle ne voulait pas cultiver la haine envers qui que ce soit, et qu'elle demandait chaque jour au Seigneur la grâce et la force du pardon. Cette communauté est une goutte d'eau dans l'océan, c'est vrai, mais elle forme aussi une communauté ecclésiale qui n'est pas fermée sur elle-même, et qui a le courage de parier ensemble sur l'avenir. Son courage et son espérance se fondent sur une foi convaincue, non artificielle, qui leur donne de la force, et qui, à nous aussi, nous insuffle de la force. Ses membres sont les petits qui construisent concrètement et réellement l'espérance de l'avenir.

Il est clair pour moi que Jésus ne doit pas prendre le visage de Barabbas : dans l'Eglise, la justice ne doit pas devenir du justicialisme, la transparence ne doit pas se transformer en mise au pilori, et la justice de la Croix ne doit pas être noyée dans la justice mondaine. Pour les deux parties du conflit, j'ai le devoir de témoigner de la participation de ma communauté aux drames et aux espoirs de ces deux peuples. Ils doivent pouvoir compter sur le fait qu'un chrétien n'est jamais passif, indifférent, résigné. Notre vocation est d'empêcher que le conflit entre dans le cœur des gens, qu'il brûle leur foi et leur espérance, qu'il devienne un mode de pensée. Nier l'existence de l'autre, avoir peur de lui, savoir qu'il est là mais le rejeter : pour les chrétiens, jamais une telle chose ne devrait être. Pour un chrétien, être à Jérusalem signifie aussi "être sur la croix". Ce qui signifie non seulement faire sienne la douleur des autres, mais aussi apprendre à pardonner, comme Jésus a pardonné au bon larron sur la croix. Si nous voulons être sur la croix avec Jésus, nous sommes alors appelés, comme Ghada de Gaza, à demander la grâce du pardon. Nous sommes appelés à désirer le salut pour tous, même pour les voleurs, même pour Barabbas. Ainsi, pour moi, être chrétien en Terre Sainte signifie défendre le caractère chrétien de la Terre Sainte : non seulement défendre les personnes (defensor civitatis) et les espaces physiques (garde des Lieux Saints et statu quo), mais aussi défendre ce témoignage-martyre.

En conclusion, je me demande continuellement, dans ce contexte spécifique qui est le mien, et qui peut-être est différent des autres, quelle position adopter face à ces situations complexes ; comment m'engager pour une paix et une justice véritables, vécues et expérimentées, et non pour des "discours et des idéologies vides". Je crois qu'il est nécessaire de se méfier de ceux qui offrent des réponses certaines, claires et faciles. Proposer des réponses faciles face à des contextes complexes et déchirés comme le nôtre est toujours fallacieux.

Je pense qu'il me faut surtout être là, au sein de ce monde blessé ; d'accepter parfois qu'il n'existe pas d'autre solution que d'être présent, d'être proche, d'être voisin, sans prétendre enseigner le pardon, mais en essayant de le partager. La seule façon d'enseigner le pardon, la justice et la paix est d'en faire l'expérience et d'en être témoin. Un exercice académique ou une décision politique peuvent expliquer ou ratifier, mais ne précèdent jamais la décision de s'engager pour la paix, la justice et le pardon, qui est le résultat d'une option du cœur.

Car, reconnaissons-le, après tout, le "pardon" n'est rien d'autre qu'un synonyme d'"amour". Et seul un grand amour pour Dieu et pour sa communauté peut donner un fondement et un sens à notre engagement pour la paix et la justice, et à un geste aussi véritablement révolutionnaire que le pardon.