Au matin du lundi 7 décembre, les missionnaires affiuaient au Patriarcat pour les funérailles de Mgr Girard. Une terrible nouvelle s'est alors répandue parmi eux, venant doubler le deuil, déjà si lourd, qui les frappait. On annonçait que D. Georges Zayed, jeune vicaire à Amman, avait été tué la nuit dans un accident d'auto. Ainsi, c'est dans la consternation, le cœur vraiment broyé par cette nouvelle épreuve, que ces missionnaires sont entrés à la Concathédrale pour le service de Mgr Girard. C'est doublement que leurs prières sont montées ardentes vers le Seigneur, pour le vétéran qui s'en allait après une longue carrière très remplie de 51 ans de sacerdoce, et pour le tout jeune prêtre, enlevé seulement deux ans et demi après son ordination.
La nouvelle n'était hélas que trop vraie. La veille, après sa messe au Christ-Roi, son ministère ordinaire bien chargé du dimanche, et même l'enterrement d'un enfant, D. Georges était allé encore célébrer une messe du soir à la paroisse de Safout, à 16 km à l'ouest d'Amman. Pour revenir dans la nuit, il avait pris la route de Naour plus spacieuse. À un tournant, près de la station de radio, sa petite auto, qu'il conduisait lui-même, a été prise en écharpe par un immense camion lancé à pleine vitesse. On pense que D. Georges aura été aveuglé par les phares du camion. Son auto a été traînée sur une vingtaine de mètres. Quand on a pu la dégager de dessous le camion, on en a retiré le cadavre du jeune prêtre qui avait eu la tête fracassée. De l'hôpital du gouvernement, où une ambulance l'avait transporté, on a averti D. Ibrahim Helon, son curé, et Taybeh, ses pauvres parents, père et mère seuls depuis que leurs quatre enfants ont émigré aux Amériques. Mgr Siman, qui se rendait aux funérailles de Mgr Girard, était passé sur le lieu de l'accident, où les autos s'arrêtaient. Il ne pouvait soupçonner que l'ambulance qu'il avait croisée emportait l'un de ses prêtres. Ce n'est aussi que tard, dans la matinée du 7, qu'on a mis au courant S.B. Mgr Le Patriarche, déjà très affecté par le décès soudain de son procureur, Mgr Girard.
D. Georges Zayed était né le 25 mai 1937 à Taybeh, le dernier de 5 garçons. Son père, orthodoxe, s'était marié en Amérique avec une Mexicaine catholique fervente qui devait admirablement former son dernier enfant et favoriser de toute manière sa vocation. Après ses études élémentaires à l'école paroissiale, Georges fut envoyé au petit séminaire patriarcal à Beit Jala, par son curé, D. Bresolin, en octobre 1950. Il y fut toujours un élève sage, discret, délicat, aimé de ses condisciples, assez handicapé les premières années par une santé fragile et de trop fréquents saignements de nez.
Il fut ordonné prêtre le 29 juin 1962 par S.B. Mgr le patriarche Gori, à Jérusalem. Il était le quatrième enfant de sa paroisse à arriver au sacerdoce, après D. Hanna Daadouch, curé d'Anjara, D. Giries Saleh et D. Mansour Saliba. On sait que Taybeh est l'Ephrem évangélique où Notre-Seigneur se réfugia quelques jours avec ses disciples, peu avant sa passion (Jean, Il, 54).
D. Georges fut déjà très fraternellement fêté par le Séminaire de Beit Jala, car il était le seul prêtre de cette année. Mais Taybeh lui réserva en outre une réception vraiment extraordinaire, le 3 juillet, puisqu'il y eut plus de 60 prêtres, sans compter tout le grand séminaire. À ce moment, en effet, venaient d'arriver à Taybeh-Ephrem, 48 prêtres de 23 nationalités différentes, membres de la fraternité sacerdotale JesusCaritas. Parmi eux se trouvaient S.E. Mgr Riobé, évêque d'Orléans et le R.P. Voillaume, prieur des Petits Frères de Jésus. Cette fraternité s'inspirant de la spiritualité du Père de Foucauld, ses membres étaient venus se recueillir un mois à Taybeh où le Père de Foucauld avait aussi cherché à revivre le souvenir de Jésus s'y retirant avant d'affronter sa passion.
D. Georges eut ainsi un cortège unique pour le conduire de sa maison paternelle à la petite église paroissiale, cette fois trop petite. Taybeh avait été unanime pour fêter son quatrième enfant ordonné prêtre. Père et mère de D. Georges voulurent en ce jour offrir à tous leurs hôtes ecclésiastiques le grand repas arabe de fête. Ce fut, pour ces étrangers de Jesus-Caritas, une exceptionnelle prise de contact avec cette population arabe et les missionnaires du Patriarcat. Mais les 4 frères de D. Georges manquaient à la fête. Comme tant d'autres fils de Taybeh, ils avaient émigré en Amérique, tandis que les parents préféraient rester dans leur maison de Taybeh l'été et de Jéricho l'hiver. Ce sont ses parents américains qui devaient par la suite offrir à D. Georges, pour l'aider dans son travail pastoral, l'auto où il devait trouver la mort.
En août 1962, D. Georges inaugura son travail apostolique comme vicaire à Madaba, avec D. Georges Saba. Les écoles paroissiales plus de 800 élèves , la paroisse très pratiquante, la succursale de Maïn, dont il était responsable, occupaient à plein le jeune vicaire. Il s'y était mis avec tout son zèle et la résolution caractéristique de son tempérament, donnant toute satisfaction à son curé avec lequel il s'entendait à merveille.
Lors de la création des paroisses nouvelles d'Amman, en juillet 1963, D. Georges fut affecté comme vicaire à la paroisse mère, celle du Christ-Roi, sous la houlette de D. Ibrahim Hélou. D. Georges se sera dévoué sans compter pendant 15 mois dans ce quartier populeux et pauvre. La présence autour de la mission de quelque 2000 élèves, avec leurs œuvres de jeunesse, fournissait un large champ au zèle du jeune vicaire. En peu de temps, il y a conquis la profonde estime de tous, confrères, religieuses, fidèles, par sa droiture, son dévouement et son esprit surnaturel. Le 2 décembre dernier, il était tout rayonnant dans le groupe de prêtres qui accueillait, à l'aérodrome, le Patriarche revenant du Concile. Le jour de sa mort, il s'est encore acquitté fidèlement de cette routine harassante des dimanches dans cette paroisse. Il a dû y ajouter, pour remplacer le curé en ministère de prédication à Jérusalem, la messe du soir à Safout. C'était le dernier service que le Seigneur lui demandait avant de le rappeler soudainement à Lui.
Au jeune vicaire ainsi tragiquement tué, Amman a ménagé un hommage très fervent de prière affligée. Pour la messe des funérailles, l'église du Christ-Roi s'est remplie de gens atterrés par ce départ soudain et tous y partageaient l'immense douleur de D. Ibrahim, le curé de D. Georges. D'Amman, le corps a été aussitôt transporté à Taybeh, à la maison paternelle d'abord.
On imagine l'indicible douleur du père et de la mère devant le cadavre de leur enfant, que sa tête bandée et meurtrie laissait encore bien reconnaître. Tout Taybeh est aussitôt accouru pour partager cette douleur. Vers 13 heures, on aurait pu croire que s'était renouvelé le cortège si beau de 1962, pour son ordination. Mais, cette fois, les prêtres très nombreux, ses confrères de Palestine et de Transjordanie, le grand séminaire de Beit Jala et ses maîtres, de très nombreuses sœurs du Rosaire, tout Taybeh avec les scouts de la paroisse, comme au jour de sa première messe, son curé navré, D. Bresolin, venaient chercher D. Georges mort pour une dernière visite à l'église paroissiale avant de gagner le cimetière.
Mgr Siman, vicaire général d'Amman, a présidé la cérémonie à l'église où n'avaient pu entrer que les hommes. Il a prononcé quelques mots émus sur cette épreuve soudaine pour tous les présents. Il a lu aussi un émouvant message sorti vraiment du cœur paternel de S.B. Mgr le Patriarche. Père et mère de D. Georges ne quittaient pas le cercueil, resté toujours ouvert. Leur terrible douleur, partagée de tous, a toujours gardé une dignité rare en de telles circonstances. Comme pour les cas tragiques et les grandes affections, les jeunes gens, sur ce parcours assez long, ont porté le cercueil très haut, à bout de doigts.
En cours de route vers le cimetière, S. E. Mgr Abou Saada et Mgr Heloueh se sont joints au cortège. Au cimetière, deux maîtres de Taybeh ont exprimé en arabe poétique et pathétique les sentiments de tous les assistants. La dépouille mortelle de D. Georges, toute meurtrie, a été déposée dans sa terre natale. Mais son souvenir, celui de son attachante personnalité, de sa carrière si courte et si tragiquement brisée, remplit bien vivant le cœur de tous ses amis. Par derrière les circonstances de sa mort qui pourraient paraître absurdes et injustes, la foi invite à découvrir les dispositions insondables de la Providence qui sont toujours des dispositions d'amour. Mais à tous ses confrères endeuillés, il fallait vraiment ces pensées de foi devant deux morts soudaines et deux enterrements ce même jour, au Patriarcet, épreuve qui ne s'y était encore jamais vue.